Histoire

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Histoire du château de Carrouges

Façade principale du château vu du ciel

Parcourez l'histoire passionnante du château de Carrouges propriété de la même famille durant sept siècles.

Une demeure de prestige, une histoire de famille

Le château de Carrouges est considéré comme l'un des deux fleurons du patrimoine normand, avec le Mont Saint-Michel. Place forte érigée pendant la Guerre de Cent ans, son pavillon d'entrée, petit châtelet flanqué de quatre tours, est considéré comme le premier monument Renaissance de Normandie. 

Premier grand chantier de la dynastie des Gabriel, architectes de Paris et Versailles au XVIIIe siècle, ce château de briques rose et de granite aux hautes toitures d’ardoises qui se reflète dans ses douves et son parc de 10 hectares au cœur du parc naturel régional Normandie Maine, nous plonge dans l’histoire des grandes demeures aristocratiques. 

Durant sept siècles une même famille l’a composé, meublé, enrichi et a façonné tout un paysage, une économie, une vie artistique et culturelle au cœur de l’Orne.

Détail d'une gravure du château de Carrouges
Détail d'une gravure du château de Carrouges

©Centre des monuments nationaux

Une date clé

1386 : le dernier duel judiciaire en France

Dans Le Dernier duel (2021), le réalisateur Ridley Scott a porté à l’écran l’histoire vraie qui vit s’affronter en 1386, en pleine guerre de Cent ans, Jean de Carrouges (Matt Damon) et Jacques Le Gris (Adam Driver) sur ordre du Parlement de Paris pour tenter de résoudre leur querelle et rétablir l’honneur du premier et celui de son épouse Marguerite (Jodie Comer). Ce fut le dernier duel judiciaire en France, où la justice s’en remettait à Dieu pour désigner le vainqueur, dernier survivant.

Le château de Carrouges que l’on visite aujourd’hui est bien celui de Jean IV de Carrouges et de sa femme Marguerite.

Les Carrouges sont une illustre famille de Normandie, fidèle au roi de France. Leur demeure ancestrale se trouvait dans le village fortifié de Carrouges, au sommet de la colline. En 1386, ce château ancestral n’existait plus, pillé et détruit par les Anglais. Le nouveau château a été bâti dans le marais au pied de la colline à partir de 1367, sur ordre du roi Charles V, pour renforcer les défenses de la Normandie face aux Anglais.

L’imposant donjon en briques, haut de plus de 15 mètres, que l’on peut toujours admirer repose sur des murs de granite épais de trois mètres. Il a conservé la plupart de ses défenses : une base en pente pour repousser les assauts, des meurtrières, un parapet, mâchicoulis…

Ce logis-tour carré comporte trois niveaux. Au rez-de-chaussée la salle commune où on faisait aussi la cuisine, avec son puits pour assurer le service quotidien mais aussi tenir un siège. Un couloir permet de gagner la chambre de tir ouest. Le deuxième étage a conservé sa disposition d’origine avec ses deux chambres, sa petite salle en retrait et ses latrines.

C’est sans aucun doute dans ces espaces que Jean de Carrouges nourrit ses rancunes et sa rivalité avec Jacques Le Gris. C’est aussi là qu’il vécut avec Marguerite et leur fils Robert, né quelques semaines avant le dernier duel. Elle lui survécut vingt ans et géra la seigneurie.

Le domaine de Carrouges produisait sans doute entre 400 et 500 livres de rente annuelle à une époque où un chevalier en campagne ne recevait qu’une livre par jour. Au château, la pierre de dîme est encore visible. Elle donne « la mesure de Carrouges » pour les liquides, les grains, la farine ou encore le sel. Les seigneurs de Carrouges assuraient ainsi le contrôle des quatre foires annuelles et du marché hebdomadaire de Carrouges qui se tient aujourd’hui encore le mercredi.

La lignée des Carrouges s’est éteinte avec Jeanne, la petite-fille de Jean et Marguerite de Carrouges. Mais jusqu’en 1936, ce sont les descendants directs de Jean de Carrouges qui vécurent au château, les Blosset puis les Le Veneur qui durant 600 ans servirent rois, princes et empereurs. Ils agrandirent et développèrent le château à partir du donjon de leur ancêtre.

Vue du donjon du château de Carrouges - Côté parc
Vue du donjon du château de Carrouges - Côté parc

©Centre des monuments nationaux

Une nouvelle famille

Un cardinal rabelaisien

En 1450, le château passe par mariage aux Le Veneur. Les origines de cette famille remontent au XIe siècle et doit son nom à la charge de grand veneur, organisateur des chasses, de Guillaume le Conquérant. Ils devinrent sous Philippe Le Bel grands veneurs de France. 
Le cardinal Jean Le Veneur va marquer Carrouges de son emprunte. Confident et conseiller du roi François Ier, évêque de Lisieux, abbé commendataire de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, il présente Jacques Cartier au roi et finance son expédition vers le Canada. 
A Carrouges, il fait élever entre 1505 et 1533 le châtelet qui marque l’entrée nord du domaine. Si la composition du décor reste gothique, son traitement témoigne de l’art de la transition vers la Renaissance. Ami des arts et des lettres, le cardinal est cité par Rabelais dans le livre IV de Pantagruel et Carrouges lui aurait servi de modèle pour son abbaye de Thélème où l’on goutte à profusion les joies les plus raffinées.

Portrait du cardinal Jean le Veneur
Portrait du cardinal Jean le Veneur

©Centre des monuments nationaux

Le plus agréable et divertissant lieu qu’il y ait en Normandie

Les seigneurs de Carrouges ne cessent d’augmenter et de réordonnancer leur château, sans détruire les éléments anciens, afin de marquer l’importance de leur famille. Autour de 1575, d’importants travaux sont lancés pour donner une envergure nouvelle au vieux château. François Gabriel, maître maçon d’Argentan, est appelé sur le chantier. Il s’agit de la première réalisation attestée de l’ancêtre de la célèbre dynastie d’architectes qui embellira Versailles et Paris au XVIIIe siècle. Deux escaliers monumentaux sont achevés en 1579. Les éléments disparates du château sont unifiés avec sobriété et rigueur qui annoncent déjà le classicisme. En 1634, Tanneguy Le Veneur, ambassadeur de Louis XIII en Angleterre, laisse le château à son frère Jacques qui y entreprend de nouveaux travaux jusqu’à sa mort en 1653. Comme son ancêtre, Jacques Le Veneur fait appel aux artistes et artisans locaux et aux Gabriel. Maurice, petit-fils de François, est l’auteur des jardins redessinés et magnifiés. En 1648, il conçoit les extraordinaires décors intérieurs du château pour l’amateur d’art et collectionneur averti qu’est Jacques Le Veneur.  Le château atteint sa splendeur. Dans les Singularités de Normandie, Hérembert du Paty écrivait à propos de Carrouges : « Je crois que c’est le plus agréable et divertissant lieu qu’il y ait en Normandie ».

Escalier d'honneur du château de Carrouges - Vue centrale
Escalier d'honneur du château de Carrouges - Vue centrale

©Centre des monuments nationaux

Un général révolutionnaire

Les derniers grands aménagements du château de Carrouges sont dus au général Alexis Le Veneur. Ce personnage hors normes a traversé l’Ancien Régime, la Révolution, l’Empire et la Restauration. Acquis aux idées du Siècle des Lumières (sa belle-mère, madame de Verdelin, est la protectrice de Jean-Jacques Rousseau et fit de Carrouges son séjour préféré), il participe avec enthousiasme à la Révolution, mais connaît la prison. Son nom est gravé sur l’Arc de triomphe à Paris. Au château, il mène une vie sociale très active. On joue la comédie en famille ou des opéras en réduction et les bals sont fréquents. Pour créer la salle de fêtes, le général fait supprimer le second étage de l’aile de la galerie. La salle à manger est définitivement établie au premier étage. Le général veut mettre la demeure à la mode. Il fait transformer l’ancien pont-levis en pont dormant et il envisage de transformer la plus ancienne aile du château en façade principale. Début d’exécution ou acte de civisme pendant la Révolution, il fait abattre la tour de la chapelle sans poursuivre les travaux. Il fait assécher l’étang et fait de nombreux projets d’aménagement de parc à l’anglaise. Très attentif à la gestion de son domaine et de sa maison, il établit une numérotation des différentes pièces, chambres, salles et salons.

Portrait du Général Aléxis Paul Michel Tanneguy Le Veneur
Portrait du Général Aléxis Paul Michel Tanneguy Le Veneur

©CMN - Carole Fernez

La fin d'une ère, le début d'une autre

Un monument national

A la mort du général en 1833, c’est son fils qui hérite de Carrouges. Ses six enfants et leur famille habitent au château, ce qui nécessitait de nombreux aménagements. Tanneguy IX Le Veneur est le dernier propriétaire de Carrouges. En 1936, sans héritier et ne pouvant faire face aux lourdes charges du château, il le met en vente. Dès 1927, l’Etat avait classé le château, en mauvais état, monument historique.  Ne trouvant pas preneur, c’est l’Etat qui finit par l’acquérir avec une partie de son mobilier afin de maintenir le caractère vivant de cette grande demeure. Au début de la Seconde Guerre mondiale, les collections du musée de Rouen sont mises à l’abris à Carrouges. Bien qu’isolé, le château subit les combats de la Libération. Le châtelet où est stationné un véhicule de munition est bombardé. De grands travaux de restauration sont entrepris dans les années 1950, les douves remises en eau dans les années 1960 et le mobilier restauré par campagnes successives. Depuis 2015 plusieurs chantiers sont menés : restauration des toitures, requalification du petit parterre, restauration du pont dormant, reprise des sols en terre cuite de la salle des gardes, restauration de la chambre des Évêques... Ces travaux permettent d’assurer la conservation mais aussi d’améliorer la présentation du site au public.

Drapeau tricolore flottant sur le pont du château de Carrouges
Drapeau tricolore flottant sur le pont du château de Carrouges

©CMN - Carole Fernez

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